Lorsqu’une personne coupe tout contact sans un mot, elle ne met pas seulement fin à une relation : elle met en œuvre un symptôme de notre époque. Le ghosting est devenu une stratégie d’évitement parfaitement adaptée à nos sociétés pressées, connectées, mais de plus en plus fragiles émotionnellement.
Derrière ce geste, il y a souvent la peur du conflit.
Nos sociétés valorisent la paix intérieure, la douceur, le bien-être. Mais le revers de cette médaille, c’est l’évitement. Au lieu d’assumer la tension naturelle d’un désaccord, on choisit la fuite. Ce que l’un évite, l’autre le porte.
Le ghosting dit aussi quelque chose de plus intime : un manque de compétence émotionnelle.
Nommer ce qu’on ressent, dire “je ne veux plus”, affronter la déception ou la culpabilité — tout cela demande des mots, du courage, un minimum de maturité. Beaucoup n’en ont pas les outils. Alors, ils coupent. Brutalement.
Ce geste ne supprime pas la responsabilité, il ne fait que la suspendre et laisse un goût d'inachevé.
Disparaître sans explication, c’est refuser de relier l’intérieur à l’extérieur.
C’est vouloir mettre fin à une relation sans avoir à le dire. Mais cette disjonction entre l’intention et la parole casse le fil de confiance qui relie les êtres et empêche tout retour. Quelque chose dans ce suspendu semble prendre des allures de définitif, parce que ne pas clore immédiatement, c'est ne plus pouvoir clore. Ainsi, toute possibilité de retour à une relation disparaît.
Pour se justifier, on invente des récits : “Je ne voulais pas blesser.” “Ce n’était pas sérieux.” “Je n’ai rien à ajouter.”
Ces phrases ne disent pas la vérité, elles la réparent. Elles protègent l’image de soi, pas la relation.
Il y a aussi, plus profondément, une intolérance croissante à l’inconfort.
Dans un monde obsédé par la fluidité et la rapidité, tout ce qui dérange devient insupportable. Alors on choisit la solution la plus simple : disparaître. Pas de frictions, pas d’effort, pas de traces.
Et ce réflexe ne s’arrête plus aux relations personnelles.
Aujourd’hui, on ghost aussi dans le travail : candidats qui ne répondent plus, recruteurs qui ne rappellent pas, clients qui se volatilisent. La dématérialisation des échanges a rendu cela presque normal. Comme si le lien humain n’était plus qu’une option.
Le ghosting, au fond, n’est pas tant un signe de méchanceté qu’un aveu de faiblesse.
Il révèle une incapacité temporaire à soutenir une relation adulte — faite de réciprocité, de responsabilité et de parole claire.
Il ne dit pas “je te rejette”, mais plutôt “je ne sais pas comment te quitter”.